Contre les lacunes numériques et cognitives
La pandémie provoquée par COVID-19 a révélé diverses forces et faiblesses des systèmes internationaux d’éducation et de communication et c’est, sans aucun doute, durant les crises que se révèle, par pur impératif de survie, l’inventivité et la capacité à créer de nouvelles opportunités destinées à assurer le progrès.
Le fait que plus de 40% de la population mondiale ait été contrainte de se confiner chez elle pendant une longue période, situation méconnue jusqu’alors par les générations actuelles, a contraint un grand nombre de personnes, de familles et d’entreprises à changer leurs modes de vie.
L’une des conséquences de cette crise a été l’intensification significative de l’utilisation d’ Internet comme moyen de communication, en multipliant les outils de visioconférence de façon inimaginable il y a encore quatre mois, ou l’utilisation en continu de la téléphonie mobile, à la fois pour rester en contact avec famille et amis, ou bien pour pouvoir suivre certaines routines de travail liées à cette nouvelle façon de travailler ou encore tout simplement pour les loisirs. De la même façon, s’est imposée d’elle-même l’importance des réseaux sociaux dans la formation des opinions.
Il y a un domaine où la révolution a été absolue, et c’est celui de l’éducation, où des millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes universitaires se sont vus, du jour au lendemain, obligés d’ utiliser ces outils comme unique moyen pour rester en contact avec l’environnement éducatif auquel ils appartiennent. C’est dans ce domaine que sont apparues de façon évidente, les inégalités entre les classes sociales.
Selon un rapport de l’UNICEF de 2017, 29% des enfants et des jeunes dans le monde peuvent se voir empêcher de poursuivre leur formation faute de moyens techniques de base pour se connecter avec leurs professeurs et leurs camarades. En Afrique, cette inégalité atteint des proportions inacceptables avec des chiffres approchant les 60%.
Il existe également un fossé entre les hommes et les femmes, car, selon ce même rapport, il y a 12% plus d’hommes ayant accès à Internet que de femmes, situation accentuée par des raisons culturelles et le manque d’opportunités pour les femmes dans certains endroits très peuplés de la planète.
Le milieu du travail a également été fortement touché car le télétravail s’est révélé être un instrument offrant beaucoup plus de possibilités qu’on ne le pensait. Dans cette nouvelle économie, les foyers se sont convertis en centres de travail expérimentaux, ne disposant souvent pas d’infrastructure technique (bande passante, terminaux en assez grand nombre) suffisante pour que tous ses membres, pour des raisons de travail ou d’études, ou encore en raison de nouvelles formes de communication par téléconférence ou simplement pour les loisirs, puissent effectivement avoir accès à Internet en fonction de leurs besoins.
Cette inégalité d’accès à Internet est si grave qu’elle a clairement généré deux mondes encore plus séparés qu’ils ne l’étaient déjà et a conduit à ce que cette «fracture numérique» atteigne des proportions tectoniques. Une fracture qui menace de devenir une «fracture cognitive» à moyen terme, et dont les conséquences sur l’augmentation des inégalités pourraient devenir irréversibles.
Au 21ème siècle, le siècle des technologies, des avancées de la médecine et des sciences informatiques, celui des voyages spatiaux prévus et annoncés comme une grande avancée scientifique, devrait aussi être le siècle de l’éducation pour tous, valeur suprême, incontestable et inaliénable, grande cause autour de laquelle seraient réunis tous les pays, institutions et philanthropes conscients que, sans cette valeur suprême, notre civilisation serait vouée à disparaître, du moins dans sa forme actuelle.
Et il ne fait aucun doute que l’accès universel à Internet s’avère être le seul moyen aujourd’hui connu pour être en mesure de porter cette éducation vers tous les coins de la terre, grâce à une initiative de la société civile, soucieuse de garantir que l’éducation et ses valeurs soient à la portée de tous ceux qui sont l’avenir de cette planète.
Les effets socio-économiques de la crise sanitaire s’ajoutent aux inégalités structurelles qui existaient déjà auparavant, les creusant et rendant plus nécessaires que jamais une action commune de tous les pays et organisations pour y faire face.
L’Union européenne réfléchit à la constitution d’un fonds de reconstruction interne et à comment repenser la coopération au développement, domaines dans lesquels l’Agenda Numérique est un objectif privilégié au sein duquel l’accès universel à Internet apparaît comme inévitable. De la même manière, l’UE vante depuis longtemps la nécessité de promouvoir les compétences médiatiques (critiques et créatives) qui permettent l’utilisation des outils numériques et des moyens de communication.
Les soins de santé en ligne apparaissent également comme absolument nécessaires lorsque nous sommes confrontés à des situations comme celles dans lesquelles nous nous trouvons actuellement, dans lesquelles les déplacements sont limités, parfois même impossibles, et s’avèrent être également une des clés permettant de garantir la santé dans les temps à venir.
En tant que société civile, en tant qu’universitaires, en tant que personnes préoccupées par l’avenir de l’humanité, dont les valeurs suprêmes incluent éducation et santé, profondément liés les uns aux autres, nous nous engageons à ce que les prochaines générations puissent profiter d’un monde dans lequel les inégalités seront chaque fois moins nombreuses.
Un monde dans lequel tout le monde pourra avoir accès à la puissance que peut déployer internet et dans lequel personne ne se verra privé des compétences nécessaires à son utilisation permettant ainsi à tous de se réaliser en tant que citoyen et en tant que personne et de contribuer ainsi au progrès intellectuel, social, économique et sanitaire de l’humanité.
Pour totes ces raisons, les signataires estiment qu’il est nécessaire de prendre des mesures décisives au niveau et international pour:
- Veiller à ce que tous les jeunes dans le monde, indépendamment de leur sexe ou lieu de résidence, aient un accès proche, facile et peu coûteux à un point de connexion avec le monde à travers le Web, ainsi que les moyens en matériels et logiciels nécessaires pour pouvoir acquérir les compétences dans les domaines de l’information et des médias pour utiliser les moyens et les systèmes numériques à leur portée.
- Veiller à ce que tous les enseignants du monde, les grands oubliés, malgré leurs efforts héroïques pour réussir à enseigner à ceux qui ne sont pas instruits, puissent avoir accès à une connexion raisonnable à Internet, aux outils numériques et à la formation nécessaire pour en tirer le meilleur parti.
Dans ce but, nous proposons:
- Que tous les gouvernements adoptent des mesures régulatrices spécifiques intégrant comme priorité le souci de combler le fossé numérique et cognitif généré par le manque d’accès à Internet, et que les gouvernements et les organisations internationales mènent une politique déterminée d’éducation aux médias et à l’information.
- Que les entreprises fournissant des services de téléphonie mobile et de données dans le monde, ainsi que les grandes plates-formes numériques, puissent créer des instruments spécifiques pour fournir un accès universel et gratuit à Internet à tous ceux qui ne peuvent pas se le permettre, en raison de leur manque de ressources, soit individuellement ou par le biais de fonds nationaux ou internationaux, y compris organisé par des agences indépendantes à but non lucratif.
- Que les entreprises de fabrication du monde entier créent un fonds géré par une institution philanthropique internationale dans laquelle des équipements en matériels et en logiciels seraient fournis à tous ceux qui ne pourraient y avoir accès pour des raisons économiques, indépendamment de leur âge, grâce à un programme international et selon des conditions clairement stipulées.
- Que les États garantissent, avec le droit à l’éducation, la coopération public-privé nécessaire pour que tous les élèves et enseignants de leurs systèmes éducatifs disposent du matériel et des logiciels nécessaires pour accéder à l’enseignement par voie électronique.
- Que l’Union européenne place l’accès à Internet comme objectif privilégié pour l’octroi des fonds de l’Agenda Digital aux États membres pour qu’ils puissent faire face à la reconstruction post-COVID-19 et l’inclure également comme facteur préférentiel de développement dans la coopération extérieure prévue par les traités, en réformant, si nécessaire, la législation, les projets et plans d’action pour rendre effectif cet accès à internet.
- Que l’Organisation des Nations Unies et ses agences, en particulier l’UNESCO, l’UNICEF et l’OMS, ainsi que des institutions telles que la Banque Mondiale, les banques internationales associées et le Fonds Monétaire International déclarent sans ambigüité dans leurs directives, l’accès à Internet en tant que DROIT UNIVERSEL INALIENABLE sans aucune sorte d’exception.
- Que les mesures nécessaires soient prises pour que ce droit soit effectivement et immédiatement mis en œuvre en raison de ses possibilités infinies d’améliorer l’éducation et la santé au niveau mondial et aussi, parce que cet accès universel aura comme effet collatéral bénéfique la possibilité d’offrir gratuitement à l’utilisateur final des programmes éducatifs de prévention des problèmes de santé et des programmes d’assistance sanitaire accompagnés des avantages associés.
- Que 85% de la population mondiale ait accès à Internet et que cet objectif soit fixé au niveau international, comme une réplique en termes de processus, calendrier et ambition, de la méthode internationale mise en place pour lutter contre le changement climatique lors des Accords de Paris sous la houlette des Nations Unies.
- Que l’UE convoque, puisque c’est l’Europe qui prend l’initiative de cette action, une Conférence Internationale qui établisse de manière immédiate, les bases pour asseoir les mesures antérieures et leur exécution efficace.
Il est possible que l’histoire ne nous juge pas seulement pour avoir été en grande partie la cause de la destruction de la planète en raison du réchauffement climatique que nous avons contribué à provoquer, mais qu’elle porte également à notre crédit l’initiative de déclarer l’accès à internet en tant que droit humain universel, permettant ainsi que les droits de tous et pour tous soient la colonne vertébrale de cette nouvelle ère.